Le retour des morts [1] de Lauric Guillaud
CR Les Rencontres de Berder n°3 mai 2010
Puisque la raison ne peut ouvrir à l’homme que la voie temporelle du passé vers l’avenir, la folie ouvrira peut-être la voie inverse. J.-C. Pichon, Le Dieu du futur
Que peut-il y avoir de commun entre un célèbre roman de Mary Shelley (Frankenstein), une œuvre atlantidienne de Conan Doyle (The Maracot Deep), une nouvelle morbide de H. H Ewers (« La fin de John Hamilton Llewelin »), un récit policier psychologique de Wilkie Collins (The Moonstone), une fiction archéologique de Henry James (« Le Dernier des Valerii »), une histoire de fantôme justicier (« Grayling » de Simms), une aventure fantastique de Harry Dickson (« Le Temple de fer »), un récit cryptozoologique de Fernand Noat (« Le Triangle rouge »), un film de Steven Spielberg (The Lost World) et un « tube » de Michael Jackson, de résonance planétaire (« Thriller ») ? Au-delà des genres et des époques, toutes ces œuvres qui jouent sur plusieurs registres de la verticalité nous déclinent la notion de retour sous une forme angoissée.
« Se figure-t-on cette attente ? Pas un oiseau n’oserait couver, pas un oeuf n’oserait éclore, pas une fleur n’oserait s’ouvrir, pas un sein n’oserait allaiter, pas un coeur n’oserait aimer, pas un esprit n’oserait s’envoler, si l’on songeait aux sinistres patiences embusquées dans l’abîme». La formule de Victor Hugo, tirée des Travailleurs de la mer (1866), suffirait à résumer les peurs de toute une époque dont l’imagination apparaît comme « envoûtée » par les créatures du monde souterrain.
Un peu partout dans le monde, des « musées-parcs » proposent aujourd’hui des visites de fossiles reconstitués, plus vrais que nature, au cœur de gisements paléontologiques. Ainsi, à Mèze (Hérault), une brochure nous apprend que « des paléontologues, explorateurs de mondes perdus, armés de burin, font jaillir de la terre les pages oubliées de notre histoire ». Comme les visiteurs émerveillés de Crystal Palace, nous redevenons contemporains de nos farouches ancêtres exhibés en taille réelle. D’où peut bien venir cet engouement durable ?
Hiver 2009 : après les secrets du Vatican et de la pyramide du Louvre, Dan Brown, dans Le Symbole perdu, nous dévoile la face souterraine de Washington et de ses monuments, des sous-sols de la Bibliothèque du Congrès aux temples maçonniques de la capitale. Enfoui dans un lieu ultra-secret, le « mot perdu » des francs-maçons risque de resurgir en provoquant le chaos à la surface.
Avril 2010 : Luc Besson réalise Les Aventures Extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec d’après la célèbre BD de Tardi. En 1912, année de la publication du Monde perdu, un œuf de ptérodactyle, vieux de 136 millions d’années, éclot sur une étagère du Jardin des Plantes, et l’oiseau sème la terreur dans le ciel de Paris.
Été 2005 : la sortie de The Descent de Neil Marshall fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde du cinéma d’horreur. Le film, qui conte l’expédition spéléologique de six jeunes femmes, réussit le pari de renouveler l’horreur contemporaine tout en s’inscrivant dans un sillon littéraire et cinématographique où l’on reconnaît pêle-mêle le souvenir de Jules Verne et de Lovecraft, des romans de monde perdu ou des classiques du cinéma de genre. Au même moment, des films comme « Creep » ou « The Cave » tentent d’exploiter la même veine souterraine, comme si le thème classique du voyage à l’intérieur de la terre réémergeait sous une nouvelle forme, plus adaptée aux temps actuels, chargée d’un potentiel d’agressivité et de violence sadique qui secoue une nouvelle génération (post-11 septembre) et interroge la critique.
D’autre part, de Dieu sait où, des tréfonds du monde et de la mémoire, continuent de surgir des êtres ou des créatures qui viennent envahir notre espace mental, aussi bien dans le cinéma que dans la littérature, les séries américaines centrées sur le rôle du cadavre (Six Feet Under), la BD ou les jeux vidéo : zombies, vampires, momies, spectres, monstres des temps perdus (King Kong) et autres morts-vivants, dont l’éternelle renaissance accompagne notre époque troublée. Comme le note Olivier Schefer, « la mort revient de toute part dans l’imaginaire occidental et le monde ordinaire, comme un retour du refoulé, et peut-être y a-t-il là une autre étape, non prévue par Ariès, de notre commerce avec la mort »[2]. D’où viennent en effet ces silhouettes aussi menaçantes que familières ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous arracher à la prégnance cryptique, aux jeux spatio-temporels du monde souterrain qui s’attachent à une verticalité synonyme pour nous de menace, sinon d’anéantissement ?
Pour répondre à ces questions, il convient de recomposer la généalogie de cette verticalité en revisitant les sous-sols de la peur du XIXe et du XXe siècles et en mettant en perspective les travaux des mythologues (J.-C. Pichon, Mircea Eliade) et des spécialistes d’anthropologie culturelle, les acquis des sciences nouvelles et la dynamique littéraire qui les accompagne depuis près d’un siècle et demi[3]. Nécromant d’un jour, je m’associerai à cette remarque pertinente d’Arlette Bouloumié : « Le rôle du romancier n’est-il pas de faire parler les morts?»[4]
Avant…
…l’homme s’est représenté au centre de l’univers, maître de la Terre. […] …plus les recherches plongeaient dans le passé, et plus les éléments du puzzle s’arrangeaient selon […] cette vision ethnocentrique d’une évolution linéaire qui culminait par l’apparition sur Terre de l’intelligence, incarnée par la science humaine. Les éléments survivants de temps antérieurs ont graduellement basculé dans le mythe, le déni ou, l’idolâtrie. Tout ce qui précédait l’homme ne pouvait appartenir qu’au domaine du sacré ou de la fable. Quand les religions ont commencé à perdre leur prééminence, la science est venue à la rescousse de la vanité humaine. La géologie, la paléontologie, Darwin, confirmaient obligeamment ce que l’humanité, en son for intérieur, savait.
Et confiant en son intelligence souveraine, l’homme ignorait qu’il était perdu dans un univers de dieux et de monstres[5].
Patrick Marcel expose avec clarté la conception qui a prévalu jusqu’ici dans les sociétés occidentales. Longtemps, la science a conforté l’ethnocentrisme et la confiance de l’homme dans le progrès illimité. Mais personne ne croyait que les tout-puissants savants allaient entamer un dialogue avec les ombres, contribuer ainsi à un réveil de l’imaginaire et déchaîner les divinités jusque là assoupies : « En son palais de R’lyeh, Cthulhu mort attend en rêvant… »
« Autrefois, écrit Jean Delumeau, le passé n’était pas vraiment mort et pouvait à tout moment faire irruption, menaçant, à l’intérieur du présent »[6]. Cet autrefois est étrangement bien actuel, les vieilles croyances sur la séparation entre vie et mort n’ayant pas été totalement oblitérées par la philosophie des Lumières. On peut même se demander si la révolution épistémologique n’a pas accompagné le retour de l’archê, voire contribué au réveil des morts.
Le potentiel fabulateur des « nouvelles sciences » au XIXe siècle correspond à une période exceptionnelle qui voit la science investir toutes les taches blanches de l’inconnu épistémologique, qu’il soit géographique, zoologique ou historique. Scepticisme et incrédulité paraissent condamner à tout jamais religions et théologies : « Le surnaturel sort de l’esprit des hommes », « Le fantastique n’existe pas », « La science moderne a tué le fantastique »[7], telles sont les proclamations de ceux qui espèrent régler leur compte aux croyances une fois pour toutes. Mais les choses sont-elles aussi simples ? Après tout, c’était au siècle des Lumières qu’avaient émergé les ombres du gothique.
Au siècle suivant se fait jour un paradoxe : en « verticalisant » l’imaginaire par le biais de l’archéologie ou de la paléontologie, la science réveille ou réinvente les Anciens, les Ancêtres, les Êtres des commencements mythiques. Rien de bien étonnant, selon Michel Serres : « Loin de se débarrasser des mythes et des archaïsmes, les sciences et les techniques les reconduisent et les approfondissent »[8]. La science réenchante le monde par la nouveauté tout en exhumant systématiquement tous les morts de l’Histoire. Ce double mouvement va bouleverser le zeitgeist occidental en suscitant un double mouvement d’enthousiasme et d’effroi, tandis que se développe une « littérature de cannibales », « de morgue ou de bagne»[9].
On sait que le « regressus » de la quête, que la psychanalyse explique par un retour vers la mère, est aussi un « descensus » vers les ténèbres de l’inconscient, à la recherche des témoignages de notre « pré-Histoire ». Ainsi, le psychanalyste, comme l’archéologue, tentent d’exhumer des profondeurs le monde « caché » de l’enfance du monde. Cette analogie est stimulante car l’on constate une même tendance vers l’« intériorisation » et la recherche des «profondeurs » à la fin du XIXe siècle, au moment où les romanciers nous entraînent au «cœur des ténèbres », centre du globe ou fond des mers. Ainsi s’aperçoit-on que la science, comme l’imaginaire, est portée par un même schème dynamique –celui de la verticalité.
La littérature de l’imaginaire est l’écho permanent de cette révolution des esprits, avec l’émergence de nouveaux genres : le « roman-charogne » (Théophile Gautier), les romans de monde perdu, le merveilleux scientifique (la science-fiction), la fantasy, tandis qu’on assiste à une hybridation frénétique des genres traditionnels (aventure, fantastique, terreur, gothique, utopie, etc.). « Quelle entreprise exaltante ce serait de révéler le véritable rôle spirituel du roman du XIXe siècle qui, en dépit de toutes les formules scientifiques, réalistes, sociales, a été le grand réservoir de mythes dégradés »[10], écrivait Mircea Eliade en songeant à des écrivains comme Jules Verne ou H. R. Haggard. L’exhumation des reliques du passé révèle à la fois la passion du progrès scientifique et ce qu’Eliade et Servier nomment « nostalgie du primordial » et « nostalgie du royaume perdu » : les efforts des anthropologues, des historiens des religions et des scientifiques (Müller, Haeckel, Tylor, Lang), tous habités, dans la seconde moitié du XIXe siècle par le désir ardent de recouvrer le passé perdu, la volonté de revivre l’Age d’Or des temps premiers, l’époque béatifique des commencements. Ainsi coexistent progrès et régression, tandis que les trésors de l’archéologie prophétisent le trépas inéluctable des civilisations. Tout semble confirmer la fameuse sentence de Paul Valéry, prononcée en 1919 : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Il est d’ailleurs frappant de voir le thème de la fin du monde traité par des auteurs fascinés, voire enthousiasmés par les progrès scientifiques, que ce soient Jules Verne, H. G. Wells ou Conan Doyle.
La paléontologie aboutit aux mêmes effets, avec le retour des dinosauriens. Observer, au début du siècle, des espèces « panchroniques » –ces reliques animales qui nous viennent du fond des âges–, c’est mettre en route la machine à remonter le temps. Les romanciers, déjà fascinés par les puzzles tératologiques reconstitués par la paléontologie, se passionnent pour le thème de la quête des « fossiles vivants ». Si ceux-ci occupent le terrain scientifique, ils parlent aussi à l’imaginaire qui perçoit dans ces êtres fabuleux l’hybridité originelle du dragon, monstre archétypal. Observer celui-ci revient ainsi à réintégrer le monde des origines… En outre, le glissement insensible vers l’hypothèse romantique de la survivance préhistorique est rendu plausible par les découvertes progressives de la science –le cœlacanthe sera observé et répertorié en 1938– et les investigations de la cryptozoologie, qui démontrent que l’évolution a laissé de côté nombre de spécimens animaux. La survie d’espèces « reliques » atteste l’existence d’isolats écologiques, véritables édens miniatures miraculeusement préservés. Mais découvrir un « monde perdu » n’est pas sans risque.
En 1905, Maurice Renard publie « Les Vacances de M. Dupont », dont le thème sera repris dans le Jurassic Park de Michael Crichton. La « dinomania » est en marche. Vers 1912, Le Mort volant de Jules Hoche, deux ans après L’Effrayante aventure de Lermina, reprend le thème du réveil des monstres, consécutif à une catastrophe scientifique. Le cinéma, après la version filmée du Monde perdu de Conan Doyle en 1925, s’emparera de ce thème qui sera immortalisé par King Kong en 1933. C’est désormais le coeur même du monde civilisé que viendront menacer les créatures du passé, « dé-couvertes » par les explorateurs modernes.
Le thème connexe de la résurrection des morts va gagner la fiction spéculative. Jane Webb fait entrer la momie dans la littérature par le biais d’un roman de terreur, The Mummy (1827). Désormais, le thème du réveil merveilleux a pour corollaire l’angoisse du retour. Celui, par exemple, de ces autres êtres fantastiques qui évoluent entre les mondes de la vie et de la mort, comme les morts-vivants ou les vampires (« the undead »). Même le retour des mythiques Atlantes et autres surhommes du passé n’est pas toujours faste pour la civilisation moderne. Le réveil des dieux endormis et les risques d’un nouveau conflit menaçant l’humanité sont au coeur d’ouvrages caractéristiques (Le Jour où la Terre trembla, de H. R. Haggard ; La Sphère d’or d’Erle Cox ; Le Réveil d’Atlantidede Paul Féval fils et H. J. Magog). Merveilleux et terreur ont ainsi partie liée.
Comment expliquer en fait le retour massif des « revenants » de tout ordre au XIXe siècle, sinon par les progrès mêmes de la science (ou de la pseudo-science) ? La recrudescence des apparitions est attisée par les pratiques métapsychiques (le spiritisme) ou l’émergence de nouvelles techniques de communication. On croit en effet, Edison le premier, que la radio ou le télégraphe parviennent à mettre en contact les mondes visible et invisible. On pourra y ajouter les mythes populaires enfantés par le roman, puis relayés par le cinéma (la créature de Frankenstein, Dracula, la momie, le zombie).
Si l’exhumation permet la miraculeuse irruption du passé ou de l’âge d’or dans le présent, elle témoigne dans l’imaginaire d’un renversement complet du mythe. La momie –le corps mort censé apporter la vie, la médecine censée guérir tous les maux– devient meurtrière. Au retour bienheureux se substitue celui du passé maudit, Henry James parlant ainsi du « monstrueux héritage de l’antiquité ». Le retour du mort-vivant correspond à celui du « refoulé », « the return of the repressed », pour reprendre le titre de l’essai de Valdine Clemens[11], le retour des dieux anciens, du paganisme, de ce qui resurgit et qui aurait dû rester enterré, pour reprendre une formule lovecraftienne –« le long sommeil du dieu (ou démon) de Création, son réveil monstrueux », comme le note J.-C. Pichon[12]. Le mort ou la mort sous sa forme la plus terrifiante revient nous menacer des flammes éternelles, voire nous plonger dans le chaos. Si la science réinvente les Anciens au XIXe siècle, les « Grands Anciens » de H. P. Lovecraft reviennent nous rappeler notre insignifiance au XXe. Le sentiment de lassitude ou d’effroi qu’expriment ces œuvres s’amplifie au début du siècle, surtout après 1905, date importante selon J.-C. Pichon, qui voit l’amorce d’un « renversement des temps […] qui va mener de la sclérose positiviste à une délirante mutation »[13]. Notre nostalgie du primordial nous a conduits aux frontières de la folie. Mais la verticalité a une histoire, entamée il y a bien longtemps, dont nous évoquerons quelques stades.
Vers les profondeurs
« Archéologie, spéléologie : le tropisme des profondeurs est irrésistible, écrit Sophie Geoffroy-Menoux, car plonger dans le souterrain, c’est, paradoxalement, remonter vers le passé »[14]. Il est de fait que le monde souterrain n’a cessé d’exercer sur l’âme humaine, au cours des âges, une fascination profonde, lancinante, concrétisée en d’innombrables légendes, contes et mythes. Préfaçant l’ouvrage de P. Sébillot, La Terre et le monde souterrain, Claude Mettra évoque la rencontre d’un jeune garçon épris de merveilleux et d’un vieux mineur voué depuis l’enfance à la vie souterraine. Dans les galeries séculaires, une image bouleverse le regard de l’enfant : celles des ossements humains ou animaux qui habitent le royaume souterrain. « Spectacle, écrit C. Mettra, qui ne comporte pour lui aucune coloration funèbre mais qui l’amène à se poser une seule question : ces vertiges d’existence sont-ils les signes d’une fuite des êtres vers les profondeurs ou bien sont-ils les témoignages de leurs migrations vers la surface ? »[15]
On aura reconnu ici l’adolescent magique dont Novalis, qui en savait long sur la terre et ses secrets, puisqu’il était géologue, nous conte les périples dans Henri d’Ofterdingen (1799). Et c’est bien à cette question que semble répondre l’ensemble des éléments réunis par Sébillot au début du siècle, entreprise qui tend à la résurrection d’une religion populaire dont les racines demeurent vivaces sans le masque des anciens mythes et des rites chrétiens.
De multiples approches ont permis de cerner les divers modes d’appréhension du schème de descente dans l’imaginaire, par le biais de l’anthropologie, de l’épistémologie ou de la psychanalyse. Même si ce thème universel se décline de manière illimitée, il est loisible de synthétiser quelques types d’expériences verticales liés au monde souterrain[16] :
● Une expérience onirique. « Descendre, c’est descendre en nous-mêmes »[17], écrit Bachelard, accéder aux « ultra-caves », aux soubassements du moi. Descendre, c’est remonter le temps, vers des strates archaïques, ataviques, individuelles ou collectives. La spéléologie est géologie, archéologie mentales.
● Une expérience endoscopique : exploration d’un « antre-ventre » où l’on visite l’espace de dedans, le labyrinthe viscéral. Entrailles, boyaux, veines, alvéoles : mêmes mots pour le corps et le décor, le micro- et le macrocosme. Avalage mythique dans tous les cas qui renvoie à Jonas, Pinocchio ou aux pèlerins de Gargantua.
● Une expérience de régression intra-utérine : la clôture matérielle se lit aussi comme clôture matricielle. Retour à la grotte génitrice, au nid premier, à l’asile primitif, à la cavité prototype de toutes les cavités à venir ; réappropriation transgressive, effraction/infraction. La géographie sexuée du monde intérieur est à la fois « la première et la dernière demeure » (Bachelard), la tombe naturelle de la « Terre-Mère ».
● Une expérience sépulcrale : descentes au tombeau, ensevelissements rituels, in-humations, plongées dans le sous-sol où règne « le Ver Conquérant » poesque. Séquestrations claustrophobiques, enterrements prématurés.
● Une expérience infernale : avalage par la gueule béante, l’orifice infernal, royaume des ombres, peuple de démons, labyrinthe, tortures physiques. Peur du « sous-humain » dans les « caves sous-humaines » (Bachelard), sur les traces d’Ulysse, Enée, Dante ou Virgile.
● Une expérience initiatique et herméneutique : descente au secret des mondes et de soi, voyages au centre de la terre, vers l’antre des mystères ; quête d’une archê ontogénique et phylogénétique vers la mémoire du monde invaginée dans la roche primordiale ; espace cryptique, hermétique et ésotérique fermé au pro-fane (celui qui n’a pas passé la porte du temple). Les personnages sont tels des « astronomes renversés » (Novalis) qui scrutent les mystères du ciel d’en-bas, les forces archaïques du monde primordial (gnomes, nains, kobolds, Cerbères). Par rapport à l’approche de J.-C. Pichon, il s’agit du monde du Scorpion auquel se rattachent les notions de profondeur et de ténèbres, de mûrissement secret et de fondation souterraine (romans de Terre creuse, mythe des Sargasses, figure du Kraken, personnage du nain lié à la montagne et à la cité profonde, etc.).
Même sur un plan anthropologique et sociocritique, celui du fantastique, apparaissent deux axes temporels qui recoupent notre étude. Pour reprendre l’analyse de Jean Fabre, que l’on pourrait étendre à celle de Gilbert Durand (le double régime de l’imaginaire), à l’horizontalité « de l’histoire et de l’horloge », « laïcisé, vectorisé, anthropologisé » s’oppose « la verticalité du temps magique, ou cosmique, ou cyclique, dans lequel le présent résumant l’éternité et la rejoignant, l’immobilité sert d’antidote à ce que Mircea Eliade appelle ‘la terreur de l’histoire’ »[18]. La force verticalisante domine par définition le fantastique, héritier d’une conception mythique ou magique de l’histoire, centrée sur la métaphore obsédante du retour. Le paradoxe est que, loin d’abolir les « terreurs de l’histoire », le fantastique les amplifie, semble-t-il, créant même les conditions d’une nouvelle eschatologie.
Le Gothique
Le XVIIIe siècle se révèle ambigu. Selon R. C. Funicane, les spectres disparaissent peu à peu des débats, chassés par le progrès technique[19]. Cet « évitement du fantôme », comme l’écrit Laurent Bury, n’empêche pas Voltaire de faire surgir sur scène un spectre dans Sémiramis (1748). Mais le grand retour du spectre coïncide avec l’essor du roman gothique qui « dissipe les lumières et fait rayonner l’ombre aveuglante de l’irrationnel »[20].
En Angleterre, Le Château d’Otrante (The Castle of Otranto, 1764) d’Horace Walpole inaugure le roman gothique ou roman noir. Le nom générique est dû au décor que privilégie ce type de roman, le château médiéval. Le lieu gothique est avant tout cet espace historique clos et nocturne où l’homme vacille, confronté à la terreur ou à l’horreur[21].
Une même quête passionnée des origines associe tous ces sondeurs des profondeurs, poètes, écrivains, historiens ou archéologues, que l’on taxe désormais d’« antiquarians ». Comme l’écrivent L. Abensour et F. Charras, « cette plongée dans les abîmes de l’histoire ne va pas sans contamination du présent par le passé. Le Gothique envahit peu à peu toutes les formes de la création artistique »[22].
Par-dessus tout triomphe la verticalité, ascension vers quelque donjon ou plongée vers l’abîme. M. Lévy met lui aussi en évidence les structures architecturales d’une littérature qui s’appuie sur l’ « expérience verticale ». « La rêverie est un creusement,écrivait Victor Hugo dans Promontorim somnii. Abandonner la surface, soit pour monter, soit pour descendre, est toujours une aventure. La descente surtout est un acte grave ». Élan vers l’infini, la verticalité est aussi immersion dans le monde nocturne, la mort ou le passé. Ce double mouvement apparemment contradictoire est au cœur même de l’imaginaire.
Le fantôme ne constitue pas une nouveauté en tant que tel[23] mais, jusque là, sa signification était plutôt normative et édifiante : les revenants, comme le note O. Schefer, « viennent donner des nouvelles de l’au-delà et de l’immortalité de l’âme » (p. 96). L’interaction entre morts et vivants est suggérée par le discours théologique du XVIe siècle qui cherchait depuis longtemps « à intégrer les vieilles croyances en la présence des trépassés parmi les vivants »[24]. Désormais :
Dieu peut permettre aux âmes des morts de se montrer aux vivants sous les apparences de leur corps d’autrefois. Il peut aussi autoriser les anges […] à revêtir une forme humaine […]. Quant aux démons, ils peuvent à leur tour apparaître soit en épaississant l’air comme les anges, soit en empruntant les ‘cadavres et charognes des morts’.
Dès 1619, les Histoires mémorables et tragiques de François de Rosset recueillent le cas du mortel qui s’accouple avec une femme de rencontre et découvre, au matin, « la plus horrible […] charogne du monde ». Le narrateur « croit fermement que c’était le corps mort de quelque belle femme que Satan avait pris en quelque sépulcre et qu’il faisait mouvoir »[25]. L’entrée du revenant dans l’ère moderne s’opère par le biais de la « corporéité », distinct des résurrections christiques, et sous la forme d’un retour « négatif, voire athéologique ». En somme, comme le souligne Don Augustin Calmet dans sa Dissertation sur les vampires (1751), ce n’est plus l’âme qui fait retour, c’est « le corps même, le cadavre qui s’anime et reprend une vie paradoxale de mort-vivant ». Moment-clé de l’imaginaire thanatal, le XVIIIe siècle exalte le « retour païen du corps » et introduit « l’immortalité négative »[26]. Signes de la malédiction, les créatures réanimées qui vont hanter les siècles suivants ne sont que les figures corrompues de la résurrection chrétienne de l’âme. Elles imposent violemment un corps « physique », voire «hyper-physique », qui dit à la fois le déclin de la théologie et l’essor du matérialisme.
L’épidémie de peur des revenants, et notamment des vampires (fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle), provoque une frénésie d’exhumations de la Hongrie à la Grèce. On croit se délivrer des spectres en déterrant et en brûlant les défunts suspects, quand on ne leur tranche pas la tête ou qu’on ne les transperce pas le cœur avec un pieu. D’autre part, l’ethnographie balbutiante souligne la durable survivance dans les campagnes d’une conception des morts attestant un éventuel retour et même un possible commerce avec le « nouveau » défunt. En Bretagne notamment, selon Anatole Le Braz, « tout mort, quel qu’il soit, est obligé de revenir trois fois»[27], et si la cohabitation avec les trépassés entraîne une sorte de familiarité, elle n’abolit pas la peur des revenants pour autant. Après tout, demande Jean Delumeau, « est-ce que les lourdes pierres tombales de nos églises et de nos cimetières n’ont pas constitué un moyen souvent inefficace – d’empêcher les morts de hanter le monde des vivants ? » (p. 114). De son côté, L.-V. Thomas observe que « c’est toujours la même peur qui a incité certaines peuplades à placer de lourds blocs de pierre sur la poitrine des cadavres, à clore hermétiquement de dalles pesantes les caveaux, à clouer de même les urnes et les bières »[28].
Si certains exhument les corps pour interdire le retour, d’autres, au siècle suivant, descendent au tombeau pour tenter de les ranimer. Double mouvement paradoxal qui voit le savant enfreindre les interdits et jouer les apprentis sorciers.
L’imaginaire des profondeurs au XIXe siècle
La remontée des profondeurs n’est pas l’apanage de la science. Le fantastique implique depuis toujours la dominance d’un motif quasiment universel : le fantôme et ses divers visages (spectre, vampire, ombre, simulacre, apparition, etc.). Mais il est d’abord « revenant », un mort qui revient des profondeurs. « Voir un fantôme, résume J.-L. Steinmetz, c’est toujours regarder une vérité ensevelie, peut-être la sienne, que l’on a trop voulu se dissimuler et qui remonte un jour »[29]. Le fantastique est lui-même une « régression », une « descente vers un empire du dedans où perdurent des peurs et des émois archaïques », ajoute Steinmetz. Et Grivel de confirmer : « Le fantastique arrive dans la profondeur »[30]. En 1919, Freud note, en recourant au concept d’« inquiétante étrangeté » (« Unheimlich »), la prégnance de la peur [Angst] primitive de la mort, relevant que « ce qui paraît au plus haut point étrangement inquiétant à beaucoup de personnes est ce qui se rattache à la mort, aux cadavres et au retour des morts, aux esprits et aux fantômes »[31]. Il est clair que la pensée rationnelle est loin d’avoir totalement oblitéré les croyances premières touchant à la mort. On assiste bien à un « retour de l’archaïque » : sur le plan de la dynamique de l’imaginaire.
Dans la fiction victorienne, la thématique du passé vorace menaçant et de sa résurgence est évidemment présente dans le fantastique, mais aussi dans le thriller ou le roman policier. L’exhumation, qu’elle soit matérielle ou métaphorique, est le plus souvent indissociable de la peur. Le thème des profondeurs, terrestres ou même marines, sert à énoncer la terreur de la remontée que l’on trouve dans maints contes bretons, comme par exemple « Les trépassés de Sainte-Catherine » :
Le fond dela rade vient de s’éclairer subitement. La lumière semble émerger du fond des eaux. Et soudain, dans cette lumière se profile une barque. […] …cinq hommes sont debout, les bras tendus en avant le visage accablé par une immense détresse. Ils sont vêtus tous les cinq de cirés blancs parsemés de raies noires comme des larmes d’encre coulant au creux de pommettes blanches [32].Les cinq fantômes ne reviennent que pour quémander « cinq messes mortuaires par jour » afin d’assurer le repos de leur âme, mais la littérature romanesque ira plus loin dans l’horreur : dans « De Profundis » (1892) de Conan Doyle : huit jours après sa mort, le cadavre de John Vansittart rejaillit de l’eau, « tacheté d’escarres noirâtres ». « [S’élançant] hors de l’abîme », il transmet à sa veuve un message posthume aussi pathétique qu’énigmatique[33]. Plus tard, des auteurs comme W. H. Hodgson se plairont à ressusciter les monstres des « profondeurs indicibles de l’océan », pour reprendre une expression de R. E. Howard. Ce dernier, dans « Du fond de l’abîme » (« Out of the Deep ») décrira un cadavre de noyé possédé par un « démon de la mer », un triton jailli des « abîmes vert jade de l’océan glacé »[34].
Des auteurs comme Conan Doyle, M. E. Braddon, Wilkie Collins et M. R. James ont recours à la thématique de la remontée terrifiante des profondeurs, réelle ou symbolique, que ce soient celles de l’eau ou de la terre. Le puits est au centre de plusieurs œuvres : des romans tels que Le Secret de Lady Audley (1862) de M. E. Braddon et des nouvelles de M. R. James comme «Le Trésor de l’Abbé Thomas » (1904) et « Histoire d’école » (1911).
Dans Le Secret de Lady Audley, l’héroïne avoue qu’elle a précipité George Talboys, son ancien mari, au fond d’un puits, symbole de son passé honteux. Son second mari, Robert Audley est hanté par l’image de son ami George Talboys : « Devrait-il être hanté pour l’éternité par le fantôme de son ami sans sépulture ? »[35] En réalité, George n’est pas mort, même si un certain Luke Marks, avant de l’extraire de la fosse, le prend pour un fantôme en entendant sa voix étouffée (Ch. 40).
La vérité finit toujours par surgir du puits, confirmant la citation de Robert Audley : « Il y a des choses qui, comme le disent les gens, ne peuvent rester cachées » (Chap. 21). Quelque «fantôme » inconnu revient alors depuis l’inconscient pour exercer sa hantise psychique à travers plusieurs générations.
Dans son roman La Pierre de Lune (The Moonstone), Wilkie Collins décrit un lieu sinistre pour traduire la remontée verticale des défunts, consécutive à une mort tragique. Il s’agit ici de sables mouvants, dits « frissonnants » (« Shivering Sands »). C’est là que se suicide par noyade une servante du nom de Rosanna Spearman et que l’on découvre sa lettre de confession posthume qui révélera le secret honteux de la culpabilité de Franklin Blake. Ce topos macabre, comme le suggère Collins, signale aussi une potentialité ascendante aux vertus apocalyptiques :
Au retour de la marée , quelque chose remonte des profondeurs inconnues de la mer et s’étale sur toute la surface des sables, en frissonnant et en tremblant d’une façon impressionnante : c’est ce qui leur a valu le surnom de Sables Mouvants donné par les habitants de la région. (p. 25)
[…] Je regardai dans la direction qu’elle m’indiquait : la marée descendait et l’horrible sable commençait à remuer. La vaste surface sombre se souleva lentement, se rida et frémit entièrement. ‘Savez-vous ce que cela représente pour moi ? dit Rosanna en me saisissant de nouveau l’épaule. C’est comme si des centaines de personnes y étaient enfoncées et s’efforçaient de revenir à la surfacesans y parvenir et s’abîmaient à jamais dans ces sombres profondeurs. Jetez-y une pierre, M. Betteredge, vous verrez comme le sable l’aspire ! (p. 27)
Ainsi, dans The Moonstone, révélation du secret et exhumation des morts vont de pair, nimbées dans un halo spectral qui s’affirme de manière métaphorique. Avant même de se suicider, Rosanna Spearman est déjà « un fantôme »[36]. Revenir sur les lieux mêmes du drame, c’est à la fois s’enfoncer dans les sables du passé et assister à l’exhumation fantomatique de Rosanna :
Je vis le premier soulèvement des sables, puis le majestueux frisson qui rida toute leur surface, comme si quelque démon vivant s’agitait et frémissait. […] …mon visage se trouvait à quelques pieds de la surface des Sables Mouvants. Je me sentis frissonner, à les voir si près de moi, encore agités par intervalles irréguliers par un horrible tremblement. La pensée que la morte pouvait apparaître s’imposa à mon esprit et me glaça. J’avoue avoir fermé les yeux quand la pointe mon bâton disparut dans le sable. (p. 242)
Cette remontée du passé qui met au jour les secrets les plus profondément enfouis est évidemment typiquement victorienne. Elle est au diapason de la sociologie du temps, des fouilles archéologiques qui bouleversent l’histoire établie, mais surtout des premiers balbutiements de la psychiatrie et de la psychologie qui sondent les mystères de la psyché.
Chez Montagu Rhodes James (1862-1936), on retrouve cette articulation du passé et du présent exprimée sur un mode vertical, typique du gothique. Le vampiresque Comte Magnus (« Count Magnus », 1904) est certes prisonnier de son tombeau, mais malheur à celui qui dérange son cadavre en dépit des mises en garde : « Non, qu’ils ont dit, n’y allez pas ! Sûr que vous y rencontreriez des gens qui marchent et qui ne devraient pas le faire. Ils devraient reposer en paix, oui, pas marcher »[37].
Le secret, toujours terrifiant, finit par être exhumé, comme dans « Le Frêne » (« The Ash-tree », 1904). Cette histoire de sorcières est indissociable d’un arbre qui renferme un mystère. On creuse car, comme le dit un personnage, « le secret de ces terribles morts gît au fond de ce trou »[38] La fouille provoque un incendie dans l’arbre, qui a pour effet de faire jaillir du tronc d’horribles araignées. On trouvera dans les racines « un corps de femme mort depuis cinquante ans », les restes de la sorcière responsable de la malédiction qui frappe la région.
D’autres histoires se terminent plus tragiquement. Dans « Le Trésor de l’Abbé Thomas » («The Treasure of Abbot Thomas », 1904), un puits contient un objet ancien qu’un chercheur curieux va dénicher, pour s’empresser ensuite d’aller le remettre à sa place en raison de son effet maléfique. Obsédé par un fabuleux trésor, M. Somerton a en effet réveillé des forces obscures qui auraient dû rester ensevelies au fond du puits de l’abbaye :
Je m’enhardis, avançai les deux mains le plus loin possible et tirai la chose vers moi ; elle n’opposa aucune résistance. […]. Elle resta un instant en équilibre au bord du trou, puis bascula en avant, m’étreignit et me mit les bras autour du cou. […].je sentis alors une odeur épouvantable de moisi et une espèce de visage glacé contre le mien, qui se frottait lentement contre moi, et je sentis aussi plusieurs, je ne sais pas combien, plusieurs bras ou jambes se cramponner à moi. Je poussai un hurlement et Brown dit qu’on aurait dit un cri de bête et je tombai à la renverse de la marche où je me tenais, ce qui fit glisser la chose sur la même marche, je suppose[39].
Ce choc terrifiant traumatise Somerton qui n’a plus alors qu’une solution : remettre le trésor dans son trou et sceller définitivement la cavité du puits. Le châtiment est en effet promis à celui qui réveille les forces du passé. Dans « Une Histoire d’école » (« A School Story », 1911), une victime, noyée en 1865, sort de son puits pour se venger de son meurtrier et l’emmène dans ce même puits où l’on retrouve les deux corps, quelque trente ans plus tard.
M. R. James use du même thème dans « La Roseraie » (« The Rose Garden », 1911) avec la remontée de forces occultes du fond d’une cavité. Une fois arraché, un banal poteau, enfoncé au beau milieu d’une pelouse, suscite des phénomènes de hantise, provenant en l’occurrence de l’âme damnée d’un juge inhumain de l’époque de Charles II. Cette résurgence provoque maladies et cauchemars, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que le poteau avait été planté sur la tombe même du juge lors d’une cérémonie d’exorcisme. « De toute façon, note Charles Grivel, le trou affecte le sujet. Figure de sa sortie (définitive) ou figure de l’invasion des morts, il ne peut pas ne pas signifier vertige ou hantise. Quel trou n’est-il donc pas, proprement infernal et infernal parce qu’on ne voit que ce qu’on y a mis ? » (p. 53). Dans « Un Épisode dans l’histoire d’une cathédrale » (« An Episode of Cathedral History », 1931), un tombeau ancien, dans le recoin d’une cathédrale, abrite un corps qu’il eût mieux valu ne jamais venir déranger. La verticalité triomphe ici sur le plan architectural avec le motif de la cathédrale gothique qui, selon G. R. Thompson, suggère un ordre occulte : d’une part, elle s’élève vers le ciel ; d’autre part, elle se replie sur elle-même vers le bas, débouchant sur des cryptes, des passages labyrinthiques ou d’innommables catacombes enfouies profondément et souvent habitées par de terrifiantes créatures[40].
La cathédrale de Southminster faisant l’objet de lourds travaux, on met alors au jour la tombe médiévale d’un inconnu (qui s’avère véritablement démoniaque) sur laquelle l’édifice avait été bâti. D’une fissure dans la pierre s’échappe toute une série de calamités similaires à la nouvelle précédente. Ici, l’originalité réside dans la fissure que nul ne parvient à combler et qui ne sera scellée qu’au terme d’une cérémonie d’exorcisme.
De toutes ces histoires se dégage une obsession : celle de sceller ces trous ou de boucher ces puits qui n’auraient jamais dû être ouverts. Les odeurs méphitiques qui s’en échappent sont comme l’avant-goût des enfers. Si la remontée des profondeurs est considérée comme salutaire sur le plan psychanalytique ou sur le plan de la justice, « elle est de toute évidence anxiogène, note Françoise Dupeyron-Lafay, et personne ne ressort totalement indemne de ce long et douloureux processus d’exhumation ». Comme dans de nombreuses œuvres fantastiques, si l’origine de la terreur finit par se dissiper, demeure néanmoins un traumatisme durable.
« Les morts reviennent ! », s’exclame un personnage de « La Chevelure » (1884) de Maupassant ; « mon esprit était comme un château délabré, où, constamment, errent des fantômes insaisissables, et jamais dissipés », affirme le narrateur du « Testament » (1886) d’Edouard Dujardin (NP, p. 324). Pour s’en convaincre, il suffit de lire quelques nouvelles françaises de la fin du siècle, comme « Le doigt de la morte » (1887) de Charles Diguet ou «Réclamation posthume » (1895) de Jean Lorrain. Dans « La bataille des morts » de Jean Printemps, les squelettes des hommes morts à la guerre reviennent se battre tous les ans :
Les os volaient en tout sens ; les crânes roulaient à terre et étaient écrasés sous les sabots des chevaux et les roues des canons. Bientôt, on ne distingua plus rien ; c’était un enchevêtrement inextricable de bras, de jambes, de têtes, d’armes ; ce n’était plus un combat, c’était une scène d’extermination et d’horreur qui défiait toute description ! (NP, p. 114).
Cette résurrection apocalyptique annonce la scène finale du Réveil d’Atlantide de Paul Féval fils et H. J. Magog (1923) où s’entredéchirent tous les morts de l’histoire. Mais peut-être faut-il relier cette fascination pour les ossements à la paléontologie naissante, si l’on pense par exemple au Voyage au centre de la Terre. Le roman n’hésite pas en effet à prendre appui sur la science comme le prouve L’Eve future (1886) de Villiers de l’Isle-Adam, répertoriée comme «machine célibataire » par Carrouges et Pichon. Lord Ewald est entraîné à la mort à cause de son amour pour une femme, « vivante de corps » mais morte d’âme. Le savant Edison, lors d’une scène de nécromancie, suscite des enfers une créature qui est, elle, une âme incarnée dans un corps qui n’appartient pas à un être « vivant ». Ewald entreprend une catabase afin de ressusciter la femme aimée réellement mais il perd son Eurydice pour la seconde fois lors d’un naufrage[41]. Cette « œuvre d’art métaphysique », comme la décrit lui-même l’auteur, crée la confusion entre les vivants et les morts, mais aussi entre science et magie. « Nous voici séparés quelque peu du monde des vivants »[42], commente Edison dans son laboratoire «magique ». Peu à peu, le discours scientifique fait basculer dans l’irrationnel. Tel Frankenstein animé par l’électricité dans le film de James Whale, Hadaly semble surgir des enfers en une image plus mythique que scientifique : « On eût dit qu’un sépulcre, arraché aux ténèbres par des génies, s’exhumait et montait à la surface terrestre » (p. 98). Après une première transgression, celle de la nécromancie, vient la seconde, celle de la catabase dont Villiers revisite le topos antique : « Facilis descensus Averni », peut-on lire en effet en épigraphe (Livre III, I). « Il paraît que pour trouver l’idéal, il faut d’abord passer par le royaume des taupes », affirme Edison (p. 158). Ewald descend aux enfers dans un ascenseur dont le socle est une pierre tombale, magnifique syncrétisme mythico-scientifique. La demeure d’Hadaly est une suite de souterrains funèbres, « antiques obituaires des immémoriales tribus algonquines qui
peuplèrent pendant de vieux siècles ce district » (p. 156). Retour à la terre-mère, retour à l’origine sur un mode vertical et sépulcral qui ne peut s’achever pour l’andréide que dans un cercueil d’ébène. Hadaly, illusion de vie restaurée, simulacre de savant illuminé, ne peut que retourner au néant. Mais Villiers a réussi, l’espace d’un roman, à imposer l’idée d’un retour des morts par la voie scientifique, idée déjà présente dans le spiritisme : « La Science a multiplié ses découvertes ! […] Il nous est permis de RÉALISER, désormais, de puissants fantômes… » (p. 107). Villiers est bel et bien un créateur, voire un recréateur d’un entre-deux mondes.
Dans une autre œuvre, Villiers choisit un objet pour servir d’intermédiaire entre le narrateur et un événement étrange. Il en profite pour revisiter le mythe d’Eurydice dans « Véra » (1883). La clé du tombeau de Véra, jetée après l’inhumation par-delà le caveau dans un geste de douleur par son époux devenu veuf, fait retour, portée par quelque force inconnue d’outre-tombe. Autrement dit, le mari ressuscite Véra à force de suggestion mentale, tel l’amant de Ligéia (Poe) : « …la divine morte avait frémi, dans le caveau, toute seule, en regardant la clef d’argent jetée sur les dalles. […] Le chemin de résurrection était envoyé par la foi jusqu’à elle ! » (NP, p. 667). Quant au thème du châtiment post-mortem, il sera suggéré par Guy de Maupassant dans des nouvelles comme « La Main d’écorché », puis « La Main » entre 1875 et 1883. Apparemment, les vieilles croyances animistes sont encore vivaces. On pense soudain à un passage de Tandis que j’agonise (1930) de Faulkner, écrit bien plus tard :
Alors, tous les quatre, Cash, notre père, Vernon et Peabody, soulèvent le cercueil sur leurs épaules et se dirigent vers la maison. Bien qu’il soit léger, ils marchent lentement ; bien qu’il soit vide, ils le portent avec précaution ; et bien qu’il soit inanimé, ils n’en marchent pas moins en étouffat leurs paroles, parlant de lui comme si, terminé, il sommeillait à demi vivant, dans l’attente du réveil.
Après tout, rappelle L. Hurbon[43], les porteurs de cercueil, dans les campagnes, font encore semblant de se perdre et de s’égarer en route, afin que le trépassé ne puisse retrouver le chemin du retour…
Au tournant du siècle, d’autres écrivains semblent vouloir privilégier la « monstration »[44]. Même si le fantastique en est absent, l’incroyable roman de Jean-François Elslander, Rage charnelle (1890), conjugue toutes les mythologies vénéneuses de l’époque, contant la passion maladive d’un homme des bois hanté par le cadavre de la femme qu’il a violée et qu’il continue de profaner, « l’effroyable fantôme dont la masse putrescente venait de l’abattre sur lui »[45]. L’imaginaire macabre de l’auteur, au paroxysme du délire naturaliste, parvient à donner l’illusion que le cadavre vit encore. En revanche, la nécrophilie cède la place à un fantastique plus traditionnel dans « Le Mal » (Le Cadavre, 1891).
Dans « Le rendez-vous » (1909) de Maurice Renard, un homme qui a obtenu sous hypnose qu’une femme mariée vienne le voir régulièrement ne peut empêcher le cadavre de la jeune femme, morte prématurément, de le rejoindre au même rythme, chaque semaine, dans un état de décomposition de plus en plus avancé :
Un être de limon […] s’approchait de moi… un monstre obscur et vaseux qui me toucha… Il m’étreignit de sa rigidité froide et gluante […] Je serai visité d’abord par une créature d’immondice, et puis par un informe tas de petites choses mouvantes ; un squelette suivra, blanchissant avec l’âge ; et enfin ce sera quelque nuée de poussière…[46]
Pareils débordements apparaissent chez H. H. Ewers, en particulier dans sa nouvelle « La fin de John Hamilton Llewelin » (1903). On retrouve le corps intact et nu d’une femme dans un bloc de glace sibérien. Un peintre tombe follement amoureux de ce cadavre exquis. Toutefois, l’artiste entreprend de chauffer la glace pour libérer sa bien-aimée, provoquant ainsi la brutale décomposition de la belle :Une bave affreuse et nauséabonde lui coulait sur le visage. Il bondit, querlques pas en arrière. Les lignes s’effaçaient… Qu’est-ce donc qui gisait là maintenant sur le divan ? Une odeur rebutante, insupportable, l’envahissait, et cette odeur, aux flammes du feu, semblait prendre forme. Du cadavre liquéfié en une gélatine glaireuse, surgit à ses yeux un horrible spectre qui allongeait vers lui ses tentacules : le temps, ce cruel géant, se vengeait[47].
Cette variation morbide sur le mythe de Pygmalion confirme l’obsession paradoxale de l’époque : nier la mort tout en en célébrant les irréparables stigmates. Et Ewers de proclamer : « Et puis, qu’est-ce qui est mort ? La terre est-elle morte, qui fait pousser les fleurs ? La pierre est-elle morte, qui forme des cristaux ? Ou la goutte d’eau qui gèle à la vitre et y fait naître des fougères et des mousses ? Il n’y a pas de mort ! » (p. 128).
E. F. Benson choisit lui aussi la voie de la monstration avec « Negotium Perambulans » (1922), dont la traduction épouse l’inspiration lovecraftienne : « La peste qui marche dans les ténèbres » et que l’auteur explicite ainsi : « C’était la Chose, la Créature, l’Innommable embusqué dans les ténèbres extérieures, le fléau de Dieu contre les impies »[48]. La Chose qui exhale « une odeur de pourriture et de corruption, semblable à celle de la vase demeurée longtemps sous l’eau » apparaît à la porte du cimetière pour vider de leur sang ses victimes.
Il serait facile de multiplier les exemples littéraires de ces fixations verticales angoissantes qui montrent une fois encore que le passé et ses secrets sont ancrés dans un monde qui vacille entre modernité et archaïsme. Elles sont le versant, disons mesuré, d’une obsession dont Lovecraft livrera une version non édulcorée, et que certains baptiseront « pornographie de l’horreur ».
Le roman « noir » privilégie les profondeurs du passé, ainsi que le retour des peurs ancestrales. L’enfer se déchristianise en un sens pour devenir ce que Julien Gracq appelle «l’en-bas » : « Les fantômes et les spectres glissent à la cantonade et les éléments infernaux surgissent, non plus d‘un enfer chrétien dépourvu maintenant de toute vertu de prolifération imaginative, mais directement du monde de l’en-bas avec lequel se trouve rétabli un contact d’échange ». Toutefois, si le spectre surgit, comme le montre le roman victorien, c’est souvent timidement, sans doute, comme l’ajoute Gracq, parce qu’il ne représente guère en fin de compte « qu’un mode d’avortement de l’intervention des forces irrationnelles dans la vie concrète » (RN, p. 232). D’autres entités sont déjà à l’œuvre, qui ne se contenteront pas de damner ou de côtoyer l’humanité.
Victor Hugo, dans le poème XIII des Rayons et les Ombres (« Puits de l’Inde ! tombeaux! monuments constellés !», 1830-1840) avait à sa façon pressenti la peur pré-lovecraftienne des tombeaux et traduit l’indistinct grouillement qui envahit les sépultures sacrées :
Cryptes qui remplissez d’horreur religieuse
Votre voûte sans fin, morne et prodigieuse !
Cavernes où l’esprit n’ose aller trop avant !
Devant vos profondeurs j’ai pâli bien souvent
Comme sur un abîme ou sur une fournaise,
Effrayantes Babels que rêvait Piranèse ! […]
Le mur suinte, et l’on voit fourmiller à travers
De grands feuillages roux, sortant d’entre les marbres,
Des monstres qu’on prendrait pour des racines d’arbres.
Partout, sur les parois du morne monument,
Quelque chose d’affreux rampe confusément ;
Et celui qui parcourt ce dédale difforme,
Comme s’il était pris par un polype énorme,
Sur son front effaré, sous son pied hasardeux,
Sent vivre et remuer l’édifice hideux !
L’archéologie « fantastique » a peuplé les sous-sols de l’Histoire d’une multitude de peuples ou d’êtres mythiques qui n’attendaient qu’une occasion propice pour remonter à la surface de la Terre –ou de la psyché collective. Les sciences « verticales » ont d’abord balisé le monde souterrain avant d’accompagner paradoxalement une véritable entreprise de résurrection athéologique. Il conviendrait ainsi d’adjoindre une « paléontologie-fiction » qui verticalise également l’imaginaire et qui contribue à sa façon au même réveil collectif des défunts de l’Histoire. Le « réveil de l’archaïque » sera maintenant d’ordre tératologique.
Science et tératologie : « réveiller le néant »
Au XIXe siècle, la science, qui progresse à pas de géant, au lieu de disperser les ombres, les rassemble. La paléontologie offre enfin l’occasion aux écrivains d’asseoir leurs rêveries sur des découvertes scientifiques réelles. Victor Hugo peut ainsi s’écrier : « Nier ces êtres est difficile. Les ossements de ces songes sont dans nos musées. […] L’impossible d’aujourd’hui a été le possible d’autrefois »[49].
Comme nous l’avons vu, ce renouveau de l’imaginaire est consécutif à l’essor de nouvelles disciplines scientifiques, elles-mêmes reflétées par les romans de monde perdu (lost-race tales). Par son obsession rétrospective, sa soif d’« ailleurs », son insistance à dépeindre une nature enchanteresse ou diabolique, le romancier partage avec le savant une passion pour l’inconnu. « [Cuvier] réveille le néant, écrit Balzac. Soudain, les marbres s’animalisent, la mort se vivifie, le monde se déroule »[50]. En reconstituant les squelettes des animaux disparus, Cuvier ranime en effet tout un imaginaire tératologique. Pour s’en persuader, il suffit de feuilleter Le Monde avant la création de l’homme (1886) de Camille Flammarion, dont les illustrations dépeignent les créatures des ères révolues avec une dose égale d’imagination et de zèle scientifique. Une légende affirme : « La trompette du jugement de la science a sonné. Ils sont ressuscités, et le naturaliste les classe »[51].
Les illustrations « scientifiques » replacent les animaux imparfaitement reconstitués dans leur environnement primitif, reconstruisant un nouvel espace hors du temps et de l’espace contemporain qui, à l’instar des romans de monde perdu, réveille tout un imaginaire pictural nourri de mythes et de légendes. « Les âges poétiques s’unissent dans une mémoire vivante, écrit Bachelard. Le nouvel âge réveille l’ancien. L’ancien âge vient revivre dans le nouveau.»[52] L’hypothèse des « fossiles vivants » ne nourrit pas seulement la fiction ; elle donne corps à une réalité : celle d’une survivance d’isolats perdus que reflète la fiction[53]. Le Monde perdu(1912) de Conan Doyle s’inscrit déjà dans la modernité : fiction présentée comme «réelle», agrémentée de montages-photos, elle recèle déjà un potentiel d’émerveillement exotique et esthétique apte à la représentation cinématographique[54]. L’adaptation filmée de Harry Hoyt en 1925 amplifiera le côté menaçant du roman, le ptérodactyle se muant en un brontosaure semant la dévastation à Londres, huit ans avant King Kong.
Dès 1877, Camille Flammarion clame que « déjà, la résurrection des tombeaux antédiluviens a fait sortir de l’inconnu les formidables productions des époques antérieures »[55]. Tout se passe comme si se matérialisait dans la littérature ce fantasme paléontologique de Flammarion : Et comment ne pas s’intéresser à ces merveilleuses conquêtes de la science moderne, qui, en fouillant les tombeaux de la Terre, a su ressusciter nos ancêtres disparus ! Á l’ordre du génie humain, ces monstres antédiluviens ont tressailli dans leurs noirs sépulcres, et, depuis un demi-siècle surtout, ils se sont levés de leurs tombeaux, un à un, sont sortis des carrières, des puits de mine, des tunnels, de toutes les fouilles, et ont reparu à la lumière du jour. De toutes parts, péniblement, lourdement, léthargiques, brisés en morceaux, la tête ici, les jambes plus loin, souvent incomplets, ces vieux cadavres, déjà pétrifiés du temps du déluge, ont entendu la trompette du jugement, du jugement de la science, et ils sont ressuscités, se sont réunis comme une armée de légions étrangères de tous les pays et de tous les siècles, et les voici qui vont défiler devant nous, étranges, bizarres, inattendus, gauches, maladroits, monstrueux, paraissant venir d’un autre monde […], nous disant dans leur silence de statues : « […] Regardez-nous et cherchez en nous l’origine de ce que vous êtes, car c’est nous qui vous avons faits[56].
Ces lignes suffiraient à résumer le zeitgeist de l’époque, celui de toute une génération enflammée par les découvertes scientifiques. Que l’on traite de « fossiles » ou de « villes fossiles », le vocabulaire demeure inchangé, célébrant sur un mode lyrico-mystico-laïque le grand retour qui s’opère, comme si tous les morts de l’Histoire avaient attendu ce moment magique pour se lever comme un seul homme –ou comme un seul animal monstrueux. Flammarion ignore que les termes qu’il emploie activent une constellation d’images plus terrifiantes que merveilleuses, où l’on reconnaît la créature hybride de Frankenstein, où l’on perçoit déjà les silhouettes grotesques de tous les monstres qui envahiront peu à peu notre espace mental. En plongeant dans les tombeaux, la science participe en fait au réveil des morts-vivants.
En reconstituant les squelettes des animaux disparus, Cuvier réveille tout un imaginaire dont les racines plongent jusqu’au monde légendaire des monstres. Étrangement, la science, qui progresse à pas de géant, au lieu de disperser les ombres, les rassemble, multipliant les points d’interrogations et les mystères. Pour une fois, la paléontologie offre l’occasion aux écrivains d’asseoir leurs rêveries sur des découvertes scientifiques matérielles. Victor Hugo peut s’écrier : « Dans le mastodonte, dans le mammon, dans le paléonthère, dans le dinothère géant, dans l’ichtyosaurus, dans le ptérodactyle, n’y a-t-il pas toute l’incohérence du rêve ? […] Nier ces êtres est difficile. Les ossements de ces songes sont dans nos musées. […] l’impossible d’aujourd’hui a été le possible d’autrefois »[57]. Les monstres, ces « rêves de Dieu », comme l’écrivait Léon Cellier (p. 84), ne sont pas seulement reconstitués par la science, ils renaissent, provoquant d’abord l’enthousiasme, comme chez Balzac dans La Peau de chagrin :
Notre immortel naturaliste a reconstruit des mondes avec des os blanchis, a rebâti comme Cadmus des cités avec des dents, a repeuplé mille forêts de tous les mystères de la zoologie avec quelques fragments de houille, a retrouvé des populations de géants dans le pied d’un mammouth. Il réveille le néant […]. Soudain, les marbres s’animalisent, la mort se vivifie, le monde se déroule[58].
Toutefois, « réveiller le néant » n’est pas sans conséquence pour l’esprit humain. Des animaux de plus en plus bizarres et déroutants vont être reconstitués, les « lézards terribles », les «dinosaures », comme les baptisera Owen en 1841.
Même si l’on connaît les fossiles de dinosaures depuis des millénaires, leur vraie nature n’est connue que depuis peu. Pour les Chinois c’étaient des os de dragons, pour les Européens des restes des géants bibliques et d’autres créatures tuées par le Déluge. La première espèce «baptisée » est l’iguanodon, découvert en 1822 par le géologue Gideon Mantell. L’étude de ces « grand lézards fossiles » fait l’objet d’un grand intérêt dans les cercles scientifiques européens et américains, et le paléontologue anglais Richard Owen invente le terme «dinosaure » en 1842. Le terme dérive du grec δεινός (deinos : « formidable, terrible ») et de σαύρα (saura : « lézard » ou « reptile »). Owen choisit ce nom par référence à la crainte que pouvaient inspirer leur taille (plus de quinze mètres de long parfois), leurs dents et leurs griffes souvent impressionnantes. L’onomastique joue ici un rôle considérable : loin de rationaliser le dinosaure, en dépit de la taxinomie scientifique en vigueur, Owen livre en pâture à la foule un gigantesque objet fantasmatique qu’il associe ouvertement à la terreur. Le monstrueux, loin d’être évacué, est quasiment légitimé par la parole savante, d’autant que la taxinomie privilégie l’hybridité (ichthyo-saurus) et que la constante sémantique –saure ou –saurus renvoie immanquablement à la figure inconsciente du reptile dans lequel Gilbert Durand avait décelé un « symbolisme déglutissant »[59]. Peut-être a-t-on négligé le caractère incantatoire des mots nouveaux qui exaltent l’arché, l’hybride, les « racines » grecques ou latines qui ressuscitent les « langues mortes »… et les monstres de l’Antiquité : c’est la science même, par sa propension à l’appropriation par le Verbe, qui ne révèle la nouveauté épistémologique que par le recours à l’onomastique la plus archaïque –la sacralisation de ces appellations insolites et analogues à la parole des théologiens ou des médecins d’autant plus sacralisée et vénérée par le vulgum pecus qu’elle était incompréhensible à la plupart. Comme la messe en latin, la liturgie verbale des savants retrouve le charme subtil d’un rituel dans lequel l’incantation l’emporte sur le sens De même que le rituel en langue morte est destiné à préserver l’essence du sacré originel, le verbe du scientifique résonne, auprès d’un grand public avide de nouvelles croyances, comme un appel implicite de la science à retrouver le chemin perdu du sacré par des voies profanes. Le savant, nouveau héros/héraut des temps modernes, est l’officiant inconscient d’une nouvelle religion laïque qui « réveille le néant », et dont les évangiles étranges et abscons sont livrés paradoxalement par des athées. C’est sans doute l’une des clés qui permet de comprendre par exemple la pérennité de la « dinomania ». Les noms si difficiles à écrire ou à prononcer des dinosaures ont quelque chose de l’indicibilité du divin. Leur éternel retour, de l’ossuaire à la surface, retrouve confusément le schème verticalisé de la résurrection christique. Le dieu des mondes perdus, King Kong, sera d’ailleurs crucifié en 1933.
Pour se convaincre du gigantesque apport imaginatif de la science à l’époque, il suffit de se reporter à l’œuvre de Camille Flammarion. Les êtres déterrés et homologués par la science sont dignes des créatures mythologiques : « Ces êtres fantastiques valent bien ceux que l’imagination humaine a inventés, dans les centaures, les faunes, les griffons, les hamadryades, les chimères, les goules, les vampires, les hydres, les dragons, les cerbères ; et ils sont réels » (p. 3). Même s’il s’agit d’une sorte d’evhémèrisation des légendes, force est de constater l’émergence d’un réveil mythique par le biais de la paléontologie. Le savant participe ainsi directement à cette entreprise démiurgique d’exhumation des « pères » : les fossiles « sont ressuscités, et le naturaliste les classe » (p. 7).
Pour ceux qui douteraient encore de la collusion mythico-scientifique, citons cette envolée lyrique de Flammarion, proche de la démarche de Dumas dans Isaac Laquédem :
Il semble […] que les reptiles dinosauriens, les iguanodons, le plésiosaures, pourraient rivalise avec les dragons à la gueule enflammée de Médée, les serpents volants avec les serpents de Laocon, les plus anciens ruminants et les grands édentés, mylodon, égathérium, avec les taureaux couronnés de Babel, les mammifères incertains, les mystérieux dromathériums et dinothériums avec les sphynx gigantesques de Thèbes, les ichthyosaures avec les hydres d’Hercule et les harpies d’Homère, le cheval hipparion aux pieds digités avec les chevaux de Neptune ou avec le monstre de Rubens à la crinière soulevée, à la croupe colossale (p. 579).
L’inventaire des fossiles, loin d’oblitérer le fantastique, lui confère une nouvelle dynamique car la science atteste la réalité des créatures perçues jusque là comme légendaires :
Ni les bêtes imaginaires inventées par les mythologies de tous les peuples, ni les chimères grimaçantes sculptées par les artistes du moyen âge dans les gargouilles des cathédrales, ni les fantômes créées par la peur dans les siècles les plus ombres où la pensée humaine semblait sommeiller et rêver, ne pourraient rivaliser avec les enfantements fantastiques de la nature terrestre pendant tous ces essais informes à l’origine des quadrupèdes et des mammifères. Il semble que la nature ait tout essayé en des proportions colossales avant de se décider pour les formes qui devraient un jour aboutir à l’humanité (p. 574).
Tout se passe comme si le savant reprenait soudain à son compte la part d’ombre du passé, revendiquant son côté cauchemardesque. Le mythique n’est plus que du réel : « Ce sont bien là les dragons de la fable, et l’imagination la plus déréglée ne peut enfanter, dans ses plus grands écarts, une collection de monstres qui n’aient vécu à l’époque jurassique » (p. 575), écrit un contemporain de Flammarion, du nom de Contejean. L’esprit rationnel triomphe, sans se douter que la science parle aussi à l’imaginaire : en ressuscitant le passé le plus lointain, on ranime les monstres : « Grâce aux travaux des paléontologistes, nous avons pu ressusciter ces êtres pétrifiés et les rétablir dans leurs anciens domaines » (p. 728), écrit Flammarion. Toutefois, même rationalisés par le discours scientifique, les dinosauriens n’ont rien perdu de leur poids tératologique : un monstre demeure un monstre.
Le dinosaure qui a droit de cité en 1842 ne se contente pas d’être un nom bizarre sous la plume d’Owen. Les vestiges exhumés sont d’abord collectés dans un laboratoire, comme celui de Frankenstein. Il s’agit ensuite de réunir ces restes pour en livrer une unité : le monstre est alors reconstitué méticuleusement « grandeur nature », « redressé » verticalement, avec pour effet de parler à l’imaginaire collectif. La peur de l’avalage ou de la dévoration est en outre amplifiée par le gigantisme des fossiles. En reconstruisant la charpente des animaux fossiles, les savants comme Cuvier ne font qu’accroître le vertige qui saisit un public à la fois émerveillé et terrorisé par les proportions démesurées des monstres exhumés. Il suffirait alors d’un rien pour ranimer ces derniers, tout au moins dans l’imagination des spectateurs.
Précisément, Owen crée le Muséum d’histoire naturelle de Londres, à South Kensington, pour exposer la collection nationale de fossiles de dinosaures. Il est ensuite chargé de ressusciter en grandeur réelle nos prédécesseurs, projet qui aboutit en 1854 avec l’ouverture, dans la banlieue de Londres, du Crystal Palace : un grand parc dans lequel on se promène parmi les reconstitutions de divers dinosauriens recréés par le sculpteur Hawkins. Même si les reconstitutions sont inexactes –on le sait aujourd’hui–, « la magie de l’apparition d’un monde disparu a ‘transporté’ dans le temps des générations de visiteurs, les confrontant directement à ce qu’ils croyaient être l’expression de leurs origines » (p. 13). Étrange et stimulante époque qui permet soudain à la science de faire revivre, non seulement les ossements fossiles, mais les cités récemment mises au jour, ou leurs reliques exposées dans des musées. La science permet le vertige de la remontée temporelle grâce à l’exhumation des morts.
Conclusion
L’horreur contemporaine réhabilite les ténèbres pour notre bien car, comme le rappelle Guy Astic : « Á trop vivre éclairés, nous ne savons plus ce qu’est l’absence de lumière »[60]. Nous ne savons plus célébrer la vie parce que, comme l’écrit Stephen King, nous ne savons plus «regarder la mort en face »[61]. L’ethnologie ne cesse de nous le rappeler : la mort est frappée d’un véritable interdit ; les vieux rituels de deuil sont désormais proscrits ; les vivants s’empressent de refouler le drame sans se rendre compte que, ce faisant, ils croient évacuer un phénomène qui revient d’autant plus violemment qu’il est nié tout simplement. Pour J. Goimard et R. Stragliati, la situation est passablement dangereuse :
On a pu croire qu’en oubliant notre folklore, nous supprimerions le retour des morts. C’était prendre l’effet pour la cause. Si les morts revenaient, ce n’était pas parce que les croyances folkloriques l’affirmaient ; au contraire, c’est le besoin d’empêcher les morts de revenir qui a engendré les croyances folkloriques. Sans elles, nous sommes démunis. Les morts reviennent de plus en plus. Sous forme de névroses, d’obsessions qui hantent les survivants[62].
Le fantastique ne serait donc que la conséquence de cette occultation. Plus on occulterait la mort, plus la mort reviendrait par l’occulte… Certes, comme le constate Nathalie Prince, « le surnaturel s’est effondré, évaporé », mais, concède-t-elle, « les thèmes fantomatiques restent prégnants » et l’on assiste à une « nouvelle eschatologie » (NP, pp. XVI et 5). La permanence de l’effroi dans nos sociétés laïcisées, la vigueur du fantastique et les innombrables figures que l’on ressuscite, cette pandémie généralisée ne seraient-elles pas les indices d’une spectaculaire mutation mythique, voire d’une nouvelle religion qui n’ose dire son nom, car encore innommable ? Pour reprendre la pertinente remarque de P. Ariès : « Quand Dieu est mort, c’est alors que le culte des morts peut devenir la religion authentique »[63].Comme l’observe Jean Delumeau, « au moment où s’effondrait dans l’espace chrétien une iconographie paradisiaque millénaire, un investissement nouveau, moins descriptif qu’affectif, s’orientait vers la commémoration des êtres chers disparus »[64]. Peut-être cette « nouvelle relation avec les morts » commença-t-elle au XIXe siècle avec le spiritisme, et la littérature fantastique constituerait alors le versant ténébreux d’une « religion nouvelle » qui voit tous les ans 80% des Français pratiquer une étrange « religion du souvenir » le jour de la Toussaint en allant fleurir les tombes de leurs proches.
S’agirait-il aussi d’une réaction au rationalisme ambiant ou à la faillite des églises, celles-ci se préoccupant plus de décrire l’enfer des infidèles que le paradis des fidèles ? « L’apparition de ces transfuges de la mort, écrit Renan Pollès, atteste d’un effritement des croyances religieuses et des rites sociaux dans les sociétés industrielles qui ne parviennent plus à canaliser l’angoisse de la mort et de la cadavérisation, et pour lesquelles la mort devient un sujet tabou » (p. 273). Tout cela traduit « une nouvelle attitude face à la mort » (p. 100), écrit L.-V. Thomas, qui tente de déceler dans la SF les indices du « mythe moderne de l’amortalité » (p. 11) et de « la quête du ne-pas-mourir » (p. 177), idéologie typique de « la société de conservation » qui est la nôtre : « Retenir le temps, retenir la vie pour avoir l’illusion d’écraser la mort » (p. 177).
Si les morts reviennent en masse, si cette macabre prolifération gagne le roman et surtout l’écran, c’est sans doute parce qu’on efface de plus en plus au sein des villes aseptisées, depuis le milieu du XXe siècle, la mort et ses rituels, les agonisants et les défunts, soigneusement « rejetés hors de la circulation symbolique du groupe », comme l’écrit Jean Baudrillard[1]. Tout cela nous rappelle aussi qu’à la fin du XIXe siècle, la volonté d’oblitérer superstitions et légendes, aboutit ironiquement à l’effet inverse : le réveil des ténèbres médiévales et leur cortège gothique, dont on ne voit guère se profiler la fin. Apparemment, plus la mort est exclue de nos villes, plus elle revient en force.
On aperçoit enfin derrière notre thème « lazaréen » un double mouvement contradictoire. Le premier est positif, permettant la miraculeuse irruption du passé ou de l’âge d’or dans le présent. Il donne corps à la quête d’éternité ou à celle de l’amour au-delà de la mort et, sur le plan scientifique (ou pseudo-scientifique), semble offrir une base technique au rêve mythique de résurrection. La SF réactiverait en fait un des plus vieux mythes de l’humanité, celui de la quête d’Isis pour retrouver et redonner vie au corps démembré d’Osiris.
Le second mouvement est en revanche majoritairement négatif, témoignant d’un renversement complet du mythe. La momie –le corps mort censé apporter la vie, la médecine censée guérir tous les maux– devient meurtrière. Au retour bienheureux se substitue celui du passé maudit, thème bien connu du XIXe siècle. Le retour du mort-vivant correspondrait à celui du refoulé, des dieux anciens, du paganisme, de ce qui resurgit et qui aurait dû rester enterré. Le mort ou la mort sous sa forme la plus terrifiante reviendrait nous menacer des flammes éternelles, voire nous plonger dans le chaos.
Sur le plan fictionnel, la résurrection correspond le plus souvent à la tentation faustienne ou prométhéenne de dominer la « grande faucheuse » par l’illusion technique. L’animation est certes « suspendue » grâce à la magie ou à la science, mais le processus, inévitablement provisoire, ne peut que s’achever sur le désastre, sans doute parce que l’artiste sait bien que l’homme ne peut échapper au bout du compte à l’entropie. Même si la SF nous affirme que la survie est possible un jour, elle ne peut s’empêcher de nous prouver qu’elle porte aussi en elle les germes de la folie ou de la destruction. Tout le monde n’a pas la chance d’être, comme Epiménide, un élu des dieux…
Le XIXe siècle a donné à l’archéologie –et à la paléontologie– ses lettres de noblesse : apparue alors sous la forme d’une discipline scientifique, avec ses écoles et sa méthode, elle fait également irruption dans la littérature du siècle, suscitant, comme les mouvements épistémiques en général, de nouveaux imaginaires qui lui sont propres. Cette nouvelle science a été le véhicule fantastique du grand retour, provoquant chez les modernes une révélation douloureuse, voire un traumatisme durable.
La descente au secret des mondes et de soi n’est pas sans risque. Comme nos images du passé, les fossiles d’un passé irréductible résistent aux plissements du temps et contraignent la science à aller aux limites de l’Histoire, à transgresser les limites tout simplement. En creusant un tunnel vers les origines, en descendant au pays des morts, le savant a non seulement ressuscité l’autrefois, mais ouvert « la brèche au monstre », pour reprendre le titre de la nouvelle de Conan Doyle, nous rappelant en fait que toute fouille est destruction.
Ces fouilles ayant ouvert une nouvelle fenêtre sur le passé, il faut désormais « réajuster » l’imagination humaine, épouvantée par les nouvelles perspectives historiques offertes par la science. Ces nouvelles données ont élargi le champ de la relativité historique, tout en affectant profondément le fantastique et l’art en général.
Depuis lors, l’angoisse du retour n’a pas cessé et la littérature de l’imaginaire, comme le cinéma, continuent de s’intéresser à ces autres êtres fantastiques qui évoluent entre les mondes de la vie et de la mort, comme les morts-vivants ou les vampires. On comprend ainsi, depuis l’éclosion des nouvelles sciences, le sentiment d’extrême ambivalence dont les réalités scientifiques sont devenues l’objet. Dans son ouvrage Contre la peur, Dominique Lecourt souligne le paradoxe de l’image de la science dans l’esprit du grand public : la science, souvent encensée, est également stigmatisée comme puissance de mort[65]. Selon Lecourt, cette dialectique trouve de solides fondements dans l’imaginaire occidental où s’imposent trois grandes figures mythiques, celles de Prométhée, Faust et Frankenstein. De ces trois figures se détache la figure menaçante de Frankenstein. Á l’instar des savants du XIXe siècle, Frankenstein est descendu au tombeau pour y découvrir le secret de la vie. Il n’a fait que réveiller l’horreur tapie au fond de l’abîme du temps.
Nul doute que nous pourrions aujourd’hui nous reconnaître dans ce constat que faisait Edouard Dujardin dans sa nouvelle « L’Enfer » (1886) :
Oui, toutes les craintes sont effacées ; les religions sont mortes ; la raison triomphe, la science resplendit […] ; j’ai violé l’antique nature, et je l’ai tenue, nue, oui, dans mon étreinte ; je suis maître de l’univers… Et quelque chose de la Magie demeure. Un débris de croyances mortes. Un rejeton des surnaturelles obsessions végétantes dans l’âme. Quelque chose des peurs magiques… (NP, p. 361)
Oui, nous sommes effectivement témoins de multiples renversements aussi fascinants que terrifiants. Comme l’a toujours pressenti J.-C. Pichon, la littérature, ou l’imaginaire en général, est cet écran magique où s’inscrivent les signes plus ou moins lisibles de notre avenir. « Qu’en sera-t-il, se demandait-il, quand la Mère capricieuse, le Serpent, le Bovin, le Bouc aux cornes de fer, le Grand Poisson, tous les archétypes naguère perdus auront été recouvrés ? »
Oui, qu’en sera-t-il ?

[1] Ce texte est un extrait d’un ouvrage qui sera publié en octobre 2010 aux éditions Rouge Profond.
[2] O. Schefer, Des revenants, corps, lieux, images, Paris, Bayard, 2009, p. 19. L’auteur se réfère aux célèbres travaux sur la mort de Philippe Ariès (Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, 1975 ; L’Homme devant la mort, 1977).
[3] Voir notamment les compilations de Nathalie Prince, Petit musée des horreurs, Paris, Bouquins, Robert Laffont, 2008, G. Costes et J. Altairac, Les Terres creuses, Amiens, Encrage, 2006 (799 p.) ou Renan Pollès, La momie, de Khéops à Hollywood, Paris, Les Editions de l’amateur, 2001 (319 p.).
[4] A. Bouloumié, Introduction à Les Vivants et les morts, Littératures de l’entre-deux mondes, Paris, Imago, 2008, p. 13.
[5] P. Marcel, Les nombreuses vies de Cthulhu, Lyon, Les Moutons Électriques, 2009, p. 9.
[6] J. Delumeau, La peur en Occident, Paris, Fayard, rééd. 1996, p. 103.
[7] Respectivement, Edouard Dujardin, Villiers de l’Isle-Adam et Jean Lorrain. Cités par Nathalie Prince [en abrégé NP], « Per retro ; la littérature fantastique des années 1880-1900 », Petit musée des horreurs, op. cit., pp. VII-VIII.
[8] M. Serres, Statues, Paris, Ed. François Bourin, 1987, p. 46.
[9] Respectivement, Louis-Simon Auger et Théophile Gautier (NP, p. XI).
[10] M. Eliade, Images et symboles, Paris, Tel Gallimard, réed. 1984, p. 12.
[11] V. Clemens, The Return of the Repressed, Gothic Horror From The Castle of Otranto to Alien, State University of New York Press, Suny, 1999, 274 p.
[12] J.-C. Pichon, L’Homme et les dieux, p. 487.
[13] J.-C. Pichon, Histoire universelle des sectes, vol. 2, p. 303.
[14] S. Geoffroy-Menoux, « L’imaginaire du souterrain/souterrain de l’imaginaire : les grottes de Vernon Lee (Violet Paget) », in L’imaginaire du souterrain, Textes réunis par Aurélia Gaillard, Université de la Réunion, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 185.
[15] C. Mettra, Préface à La Terre et le monde souterrain, de P. Sébillot, Paris, Imago, 1983, p. 9.
[16] Je reprends la synthèse de Bernard Hamel publiée dans notre article « The Descent, Creep, La Crypte, versions hybrides et monstrueuses du voyage vernien au centre de la terre », Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, « Autour de Stephen King, l’horreur contemporaine », Paris, Ed. Bragelonne, Collection Essais, 2008, pp. 341-354.
[17] G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Paris, Librairie José Corti, 1948, rééd. 1986, p. 124.
[18] J. Fabre « Pour une sociocritique du fantastique », La Littérature fantastique, Actes du colloque de Cerisy, Paris, Albin Michel, 1991, p. 45.
[19] R. C. Funicane, Appearances of the Dead. A Cultural History of Ghosts, London, Junction Books, 1982, p. 165.
[20] L. Bury, « L’home qui aimait les spectres : Fuseli, peintre shakespearien », in La Lettre et le fantôme, sous la direction d’E. Angel-Perez et P. Iselin, Paris, PUPS, p. 88.
[21] Sur tous ces points, voir la thèse de Maurice Lévy, Le Roman gothique anglais (1764-1824), Toulouse, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1968.
[22] L. Abensour et F. Charras, « Le choix du noir », Romantisme noir, Paris, L’Herne, 1978, p. II. En abrégé [RN].
[23] Voir Antoine Faivre, « Genèse d’un genre narratif, le fantastique », La littérature fantastique, Paris, Albin Michel, 1991, p. 17.
[24] R. Muchembled, cité par J. Bétan et R. Colson, Zombies, Lyon, Les Moutons Electriques, 2009, p. 12.
[25] F. de Rosset, « D’un démon qui apparaissait en forme de damoiselle au lieutenant du chevalier du guet de la ville de Lyon », in Les Maîtres de l’étrange et de la peur, sous la direction de F. Lacassin, Paris, Bouquins, Robert Laffont, 2000, pp. 28-29.
[26] J’emprunte quelques formules à Olivier Schefer (op. cit., pp. 97-99).
[27] A. Le Braz, La légende de la mort, Paris, Belfond, 1966, p. 385.
[28] L.-V. Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1976, p. 301.
[29] J.-L. Steinmetz, La Littérature fantastique, Paris, PUF, 1990, p. 26.
[30] Ch. Grivel, Fantastique-fiction, Paris, PUF, 1992, p. 52.
[31] Cité par C. Chelebourg, Le Surnaturel, Paris, Armand Colin, 2006, p. 37.
[32] L. Gourong, Contes de la rade de Lorient et des Coureaux de Groix, Le Faouët, Ed. du Scorff, 1998, p. 92.
[33] A. C. Doyle, « Hors de l’abîme », in Du fond de l’abîme, Paris, NéO, 1984, pp. 51-53 (Trad. L. Labat)
[34] R. E. Howard, « Du fond des abîmes », in Le Tertre maudit, Paris, NéO, 1985, pp. 33-34.
[35] L’absence de sépulture renvoie à un tabou antique : « Dans la Grèce antique, lorsque, après une bataille, le corps des combattants reste sans sépulture, leur ombre plaintive revient demander à leurs amis, les honneurs dus aux morts » (J.-P. Croquet, Préface, L’heure des fantômes, Paris, Hoëbeke, 2001, p. 6). De nombreux textes antiques rappellent que le cadavre ne doit pas être abandonné : l’Iliade, l’Enéide et surtout l’Antigonede Sophocle.
[36] W. Collins, La Pierre de lune, Paris, Néo Plus, 1987, p. 110, trad. de L. Lenob (mon édition de référence).
[37] M. R. James, « Le comte Magnus », in Siffle et je viendrai, Paris, NéO, 1982, p. 188 (Trad. F. Martenon et R. Stragliati).
[38] M. R. James, « Le Frêne », ibid., p. 118 (Trad. Odette Ferry).
[39] M. R. James, Collected Ghost Stories, Hertfordshire, Wordsworth Classics, 1992, pp. 175-176 (Traduction F. Dupeyron-Lafay).
[40] G. R. Thompson, « In Quest of a Gothic Monomyth », in: Literature of the Occult. A Collection of Critical Essays (Peter B. Messent, éd.), Englewood Cliffs (NY): Prentice-Hall, 1981, pp. 31-39.
[41] Je reprends le résumé d’Anne-Simone Dufief in « Villiers de l’Isle-Adam, créateur d’un entre-deux mondes », Les vivants et les morts, op. cit., pp. 97-98.
[42] Villiers de l’Isle-Adam, L’Eve future, Paris, José Corti, p. 97.
[43] L. Hurbon, Les mystères du vaudou, Paris, Gallimard, 1993, pp. 92-93.
[44] « C’est-à-dire, la mise sous les yeux, comme s’il s’agissait d’une intrusion scandaleuse dans l’espace mental du spectateur qui n’en peut mais, [et] qui renvoie surtout à des effets d’horreur » (R. Bozzetto, Fantastique et mythologie moderne, op. cit., p. 140.
[45] Jean-François Elslander, Rage charnelle, Paris, Séguier, 1995, p. 313.
[46 M. Renard, « Le rendez-vous », Un voyage immobile, Paris, Mercure de France, 1909, pp. 158 et 163.
[47] H. H. Ewers, « La fin de John Hamilton Llewelin », in Dans l’épouvante, Paris, J’ai Lu, 1973, p. 133 (Trad. F. Gautier et M. Henry).
[48] E. F Benson, « Negotium Perambulans », in Les Miroirs de la peur, Paris, Casterman, 1969, p. 258 (Trad. M. B. Endrèbe).
[49] V. Hugo, cité par L. Cellier, « Les Rêves de Dieu », « Le Monstre I », Circé, Cahiers de Recherche sur l’Imaginaire, n°4, sous la direction de J. Burgos, Paris, 1975, p. 84.
[50] H. de Balzac, cité par Y. Gayrard-Valy, Les Fossiles, empreintes des mondes disparus, Paris, Découvertes Gallimard, 1987, p. 67.
[51] C. Flammarion, Le Monde avant la création de l’homme, Paris, Marpon & Flammarion, 1886, p. 13.
[52] G. Bachelard, La Poétique de la rêverie, Paris, PUF, rééd. 2005, p. 23.
[53] Voir mon ouvrage King Kong, ou la revanche des mondes perdus, Paris, Michel Houdiard Ed., 2006.
[54] Voir A. C. Doyle, Le Monde perdu, Paris, Livre de Poche Jeunesse, 1979 (Trad. G. Vauthier) [MP].
[55] C. Flammarion, Les Terres du ciel, Paris, Marpon & Flammarion, 1877, p. 593.
[56] C. Flammarion, Le Monde avant la création de l’homme, Paris, Marpon & Flammarion, 1886, p. 6.
[57] V. Hugo, cité par L. Cellier, « Les Rêves de Dieu », art. cit., p. 84.
[58 H. de Balzac, cité par Y. Gayrard-Valy, Les Fossiles, empreintes des mondes disparus, op.cit., p. 67.
[59] G. Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Bordas, 1969, p. 244 [en abrégé GD].
[60] Guy Astic, art. cit., p. 135.
[61] S. King, cité par Laurent Bourdier, Stephen King, Parcours d’une œuvre, op. cit., p. 82.
[62] J. Goimard et R. Stragliati, « Le thème du mort-vivant », préface à Histoires de morts-vivants, op. cit., p. 21.
[63] P. Ariès, L’homme devant la mort, op. cit., pp. 536-537.
[64] J. Delumeau, Que reste-t-il du Paradis ?, Paris, Fayard, 2000, p. 457.
[65] J. Baudrillard, cité par L.-V. Thomas, Civilisation et divagations, mort, fantasmes, science-fiction, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1979, p. 188.
