Pichon Jean-Charles – Si la notion n’est pas maintenue – Commentaires et illustrations en couleurs de Silvanie Maghe – 80 pages, Edit PdT et OdS, mai 2017, ISBN 979-10-91506-67-0 ; 16€.
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Écrit en août 1991, cet essai inédit décortique Le Dépeupleur de Samuel Beckett. Il analyse une machine littéraire, qui s’inscrit parmi les cinquante autres qui ont parsemé la littérature depuis Eureka d’Edgar Poe.
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Note de lecture
Rémi Boyer, La Lettre du Crocodile, 29 octobre 2017
La pensée de Jean-Charles Pichon englobe de vastes domaines dont les sciences quantiques et la métaphysique. Cet essai court et particulièrement dense constitue autant un commentaire qu’une exploration du texte de Samuel Beckett intitulé Le dépeupleur.
Le point de départ de Jean-Charles Pichon réside dans l’identification de cinquante machines littéraires depuis 1848 : « Toutes ces machines, précise-t-il, nous sont données comme singulières, uniques, bien que toutes prétendent à recouvrir l’univers entier (astrophysique ou biologique, mathématique ou psychanalytique, mythologique ou poétique) ou, plus exactement la localisation du JE dans l’univers. »
Parmi les auteurs de ces machines littéraires, nous trouvons Edgar Poe (Eureka, 1848), Wronski, Saint Yves d’Alveydre, Villiers de L’Isle-Adam, Mallarmé, Yeats, Jarry, Kafka, Daumal… Souvent, un auteur apparaît comme le traducteur, le redécouvreur ou le schismatique d’un autre. Jean-Charles Pichon y distingue l’action de machines littéraires à l’œuvre à travers ou indépendamment des auteurs. Ce qui n’est pas sans évoquer les machines répliquantes de Gilles Deleuze.
« La machine de Beckett a pour objet, nous dit-il, de définir et de préciser le fonctionnement du « séjour où les corps vont cherchant chacun son dépeupleur. »
Beckett raconte tout de la vie des habitants de ce cylindre, sorte de boîte de conserve, sauf le début et la fin. Cette machine est close, désespérément close. Jean- Charles Pichon en imagine une sortie, en basculant le cylindre, réinterrogeant la « Forme Vide où viennent mourir les dieux et en naître d’autres ». Beaucoup des questionnements suggérés par Jean-Charles Pichon, à travers les mathématiques, ou le rapport à la langue, relèvent des philosophies de l’éveil : « L’affaire du cylindre », chère à Beckett, ne serait-elle autre, encore, que l’affaire du seuil, non plus distingué de l’appareil, son séjour ? Et le possesseur de la boîte de corned-beef, du cornet de glace, du bull-roarer, le Jupiter justicier ou l’Apollon flûtiste, seraient-ils autres que JE ? Non plus seulement le seul hôte de l’imaginaire séjour, mais l’unique auteur de toutes ces merveilles. Sans doute, en ce point, Dieu est mort. Et la Mère elle-même, la première vaincue, n’est plus que la mariée pendue, la demoiselle, la hie, de toute machine célibataire, Jésus est crucifié, Iahvé enrage, le Créateur n’a plus que faire, le Double est un reflet ou un écho, la science se love en vain – le vieux serpent, le Directeur ne dirige plus rien. Tout se passe en dehors des dieux, inutiles. Mais quel ressort secret anime le culbutant ? »
Le texte de Jean-Charles Pichon est accompagné d’un commentaire et de dix études graphiques de Silvanie Maghe. En 1990, Silvanie Maghe illustre Le Dépeupleur de Beckett et envoie le texte avec ses illustrations à Jean-Charles Pichon qui écrit alors Si la notion n’est pas maintenue… L’un et l’autre sont préoccupés par la même question : comment échapper à la « Forme Vide », au cylindre de Beckett ? À la perte de sens ? À la stérilité de la machine ? De même que Jean-Charles Pichon prolonge et d’une certaine manière libère Le Dépeupleur, Silvanie Maghe prolonge le travail de Jean-Charles Pichon par ses gravures talentueuses, qui illustrent ce qui se passe, ce qui apparaît, quand la notion que Beckett voulait à tout prix maintenir s’échappe…
