Périples et métamorphoses du manuscrit de Capella l’Africain

Pichon Jean-ChristopheBerder 2024, n°21 à St-Jacut-de-la-Mer

Périples et métamorphoses du manuscrit de Capella l’Africain – Les noces de Philologie et de Mercure

Une copie manuscrite d’un texte écrit en latin par le Carthaginois Martianus Capella dit l’Africain au Ves., intitulé Nuptiis Philologiae et Mercurii, réapparut au début du XIIe siècle à l’abbaye bénédictine de Saint-Martin de Sees (Orne). Ce manuscrit contient une enluminure, Nativité, d’une maladroite exécution, tel un dessin d’enfant. Dans ce manuscrit, Capella s’adresse à son fils. Il y est question des Arts libéraux, une allégorie synthétisant l’ensemble des connaissances partant de la simple grammaire (la première matière) pour parvenir à l’harmonie cosmique (le divin), dans une manière littéraire moyenâgeuse nommée « satire ». Une sorte de pot-pourri attractif, associant plusieurs genres : récit, discours, dialogue, poésie, philosophie, numérologie. Un genre littéraire qui fit référence sur la forme à Menippe de Sinope (IIIs. av. J.-C.), et à Varron[1] (Ier s. av. J.-C.) ; et sur le fond, à l’Institution oratoire, comprenant douze livres sur l’éloquence du rhéteur et pédagogue Quintillien (Ier s.) ; à Porphyre (Le retour de l’âme, vers 270) ; et à saint Augustin (Sur l’ordre, 386), traitant des Arts libéraux.

Ces Noces présentées comme un ouvrage éducatif, un apprentissage du langage pour parvenir à une connaissance absolue de l’univers se révèlent être une quête sacrée, mystique, impliquant le retour à l’unité du premier principe. « De Nuptiis, loin d’être une pause narrative, met en scène l’élévation de l’âme dans son mouvement de retour vers la divinité ».[2] «Comme dans une initiation spirituelle, le lecteur est mené d’énigme en énigme, de savoir en savoir, à la connaissance qui lui permet de retrouver le paradis perdu. »[3] On pense au Paradis perdu de Milton, ou à La Divine Comédie de Dante.

Martianus Capella convoque les dieux et les astres, ainsi que toutes les formes de traditions spirituelles connues, pour permettre l’union de Mercure (Hermès) et de Philologiae (l’art du langage). Sept muses accompagnent ces Noces dans un parcours initiatique, « un chemin abrupt et sauvage[4] », pour présenter la grammaire, la dialectique, la rhétorique, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie, jusqu’à la musique (l’apothéose), Philologie symbolisant le trajet pour y parvenir. L’élévation que propose Capella se nourrit de la métaphysique pythagoricienne et platonicienne, voire aristotélicienne, impliquant les dieux des mythologies romaines, grecques, voire égyptiennes (référence à Thot/Hermès Trismégiste l’autre versant du dieu romain Mercure, symbole alchimique de ce manuscrit). 

Le Livre 1 plante le décor. On cherche une épouse pour Mercure. Apollon suggère Philologie. «Au XVIe s., les érudits de la Renaissance englobent sous le mot philologie des connaissances héritées de l’Antiquité gréco-romaine que le XIXs. regroupera sous le vocable humanisme. Le philosophe allemand Christian Wolff (1679-1754) élargira ensuite la notion de philologie à l’étude de toutes les manifestations de l’esprit humain dans l’espace et dans le temps ».

Philologie/Ève est chassée du paradis terrestre pour avoir mordu dans la pomme du savoir. Il ne lui reste qu’à retrouver le chemin transcendant du retour vers l’Empyrée pour s’en délivrer. Un chemin de la concentration parcouru d’obstacles, d’hésitations, d’interruptions, car les dieux s’ennuient. Dans la gravure de Dürer, Melancholia est inhibée par l’amoncellement des éléments/objets qu’elle doit utiliser : instruments, outils, figures, sphère, polyèdre ; alors elle languit dans une inaction dépressive. Une chauve-souris, symbole de la nuit et de l’ignorance interdit le passage vers la lumière. 

Jupiter consulté, hésite à autoriser le mariage, car il est préoccupé par d’autres projets qui lui paraissent plus urgents. Pallas propose alors de réunir les dieux. Pallas, disons Pallas Athéna, une double figure du panthéon grec. Athéna tua Pallas, sa moitié féminine et humaine ; criminelle, elle deviendra par contrition l’artiste du Palladion, emblème mystique de Rome. Son ambivalente personnalité, combattante et protectrice des cités et des arts, à la fois masculine et féminine, la relie aux mythologies matriarcales très anciennes (Ishtar, Astarté, Kali, Isis, Black Athéna, etc.) ; d’où sa volonté de convoquer les dieux de toutes les régions du monde, de tous les temps et de toutes les mythologies, soulignant l’aspect universel de ses pouvoirs reliés aux ancestrales religions égyptiennes, hindoues et africaines. 

Jupiter accepte finalement cette union sous réserve que Philologie, mortelle, reçoive l’apothéose et devienne une déesse. Elle sera accompagnée par les muses qui la conduiront aux niveaux supérieurs. 

Pour lire la suite se reporter au Compte-rendu Berder 2024 n°21


[1] Varron, auteur de 150 livres, dont le Saturarum Menippearum, libri CL (Saturae Menippeae).

[2] Fontanella, L’apoteosi di Virtù.

[3] Livre 1, p. ix, Jean-Frédéric Chevallier

[4] Dante, La Divine Comédie).

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